Sylvain
Jâai rĂ©cemment interagi avec un professeur agrĂ©gĂ© de Sciences Ă©conomiques et sociales, qui partage rĂ©guliĂšrement ses rĂ©flexions sur LinkedIn. (lien en fin dâarticle)
Dans une de ses publications, il critiquait certains comportements de ses Ă©lĂšves en zone dâĂ©ducation prioritaire, notamment leur usage des smartphones pour tricher. Cette critique mâa interpellĂ© Ă plusieurs niveaux : sur la posture du professeur, lâutilisation de LinkedIn comme tribune, et les contradictions entre ce quâil reproche Ă ses Ă©lĂšves et ses propres pratiques.
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Une analogie frappante : le professeur et le commerçant
Le comportement de ce professeur mâa rappelĂ© une situation improbable : imaginer un commerçant qui utiliserait Google Avis pour critiquer une partie de sa clientĂšle, en la catĂ©gorisant selon ses comportements ou son milieu social. Aucun commerçant, ni aucun professionnel dâailleurs, ne se permettrait de critiquer publiquement sa clientĂšle. Pourquoi ? Parce que cela serait perçu comme contraire aux attentes professionnelles et Ă©thiques.
Alors pourquoi un professeur, dont le rĂŽle est de transmettre des savoirs et de guider ses Ă©lĂšves, se permet-il de publier des critiques publiques Ă leur Ă©gard ?
Certes, les Ă©lĂšves ne sont pas ses clients, mais ils sont les premiers bĂ©nĂ©ficiaires de son mĂ©tier. Ce dĂ©sĂ©quilibre entre la critique publique et le rĂŽle Ă©ducatif soulĂšve une question essentielle : oĂč tracer la limite entre lâobservation pĂ©dagogique et le jugement public ?
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La similitude entre les Ă©lĂšves et le professeur : une quĂȘte de gratification
Dans sa publication, le professeur dĂ©nonçait lâusage des smartphones par ses Ă©lĂšves, quâil percevait comme un moyen dâĂ©viter lâeffort intellectuel et, parfois, de tricher pour obtenir une meilleure note. Selon lui, ces Ă©lĂšves recherchent une gratification immĂ©diate, quitte Ă compromettre lâintĂ©gritĂ© du processus Ă©ducatif.
Mais en analysant son propre comportement sur LinkedIn, une similitude troublante apparaĂźt : ce professeur utilise Ă©galement la technologie pour son propre intĂ©rĂȘt, en cherchant Ă obtenir des likes, des commentaires et des partages. Ces interactions nourrissent une forme de gratification personnelle, comparable Ă celle que recherchent ses Ă©lĂšves avec leurs tĂ©lĂ©phones. Ainsi, bien quâil critique ces jeunes pour leur quĂȘte de rĂ©compenses rapides, lui-mĂȘme tire parti dâun rĂ©seau social commercial pour accroĂźtre sa visibilitĂ© et promouvoir ses Ă©crits.
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La triche : un comportement universel
Lâun des points implicites de sa critique semblait associer la triche au milieu social des Ă©lĂšves en zone dâĂ©ducation prioritaire. Or, cela mĂ©connaĂźt une rĂ©alitĂ© fondamentale : tricher nâest pas le monopole des Ă©lĂšves en ZEP. Les Ă©lĂšves des Ă©tablissements favorisĂ©s trichent tout autant, parfois avec des moyens encore plus sophistiquĂ©s.
Et cela ne sâarrĂȘte pas au monde scolaire. MĂȘme les crĂ©ateurs de grandes plateformes comme LinkedIn manipulent les rĂšgles Ă leur avantage. Lâamende infligĂ©e Ă LinkedIn pour abus de donnĂ©es personnelles est un exemple Ă©loquent : les grands acteurs de la technologie, avec des ressources et des connaissances bien supĂ©rieures, trichent aussi pour maximiser leurs profits. Pourtant, ce professeur, qui critique la triche de ses Ă©lĂšves, semble peu prĂ©occupĂ© par lâĂ©thique de la plateforme quâil utilise intensĂ©ment. Il continue dây publier, sans remettre en question ce choix.
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Un refus implicite du dialogue
Lorsque jâai commentĂ© sa publication pour soulever ces points, il a rĂ©pondu quâil "ne comprenait pas tout". Cependant, il nâa posĂ© aucune question pour clarifier ou approfondir ma rĂ©flexion. Ce manque de curiositĂ© et dâengagement mâa surpris. Si un professeur peut commenter sans chercher Ă comprendre pleinement un propos, comment peut-il attendre de ses Ă©lĂšves quâils fassent preuve de rĂ©flexion critique et prennent de la hauteur face aux contenus quâils consomment ?
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Une réflexion nécessaire : quel exemple pour les élÚves ?
Cette expĂ©rience mâa fait rĂ©flĂ©chir Ă la responsabilitĂ© des enseignants dans leur utilisation des outils numĂ©riques. Critiquer les comportements de ses Ă©lĂšves sans examiner ses propres pratiques crĂ©e une incohĂ©rence qui affaiblit la portĂ©e de son message.
Si les Ă©lĂšves utilisent leurs tĂ©lĂ©phones pour tricher, ils se nuisent Ă eux-mĂȘmes. Mais LinkedIn, une plateforme commerciale exploitant les donnĂ©es de millions dâutilisateurs, cause des torts bien plus larges. Pourtant, ce professeur semble accorder peu dâimportance Ă cet aspect, prĂ©fĂ©rant se concentrer sur les fautes de ses Ă©lĂšves plutĂŽt que sur les limites de son propre outil.
En fin de compte, ce que je reproche Ă ce professeur, ce nâest pas dâobserver et de critiquer ses Ă©lĂšves, mais de ne pas appliquer Ă lui-mĂȘme la rigueur quâil exige dâeux. Pour inspirer ses Ă©lĂšves Ă rĂ©flĂ©chir et Ă prendre de la hauteur, il doit commencer par montrer lâexemple.
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Une question ouverte : la place des enseignants dans lâĂšre numĂ©rique
Cette situation soulĂšve une question plus large : dans un monde dominĂ© par les technologies et les rĂ©seaux sociaux, quel rĂŽle les enseignants doivent-ils jouer ? Sont-ils lĂ pour critiquer les outils et comportements des Ă©lĂšves, ou pour leur montrer comment utiliser ces outils de maniĂšre constructive et responsable ? Un enseignant qui publie sur un rĂ©seau social commercial devrait aussi encourager une rĂ©flexion critique sur lâĂ©thique de ces plateformes. Câest cette cohĂ©rence, cette exemplaritĂ©, qui peut vĂ©ritablement inciter les Ă©lĂšves Ă rĂ©flĂ©chir et Ă grandir.
Voir la publication LinkedIn : https://www.linkedin.com/posts/jean-latreille-70488312b_nous-sommes-trop-riches-pour-ne-pas-devenir-activity-7288506402308833280-VzGV?utm_medium=ios_app&utm_source=social_share_send&utm_campaign=copy_link
04/02/2025