Depuis plusieurs mois, de nombreux sites observent une baisse significative de leur trafic organique. Blogs, médias, forums ou plateformes éducatives sont touchés. Cette dégringolade est-elle conjoncturelle, ou révélatrice d’un bouleversement structurel ? Une analyse s’impose : chiffres à l’appui, causes identifiées, pistes de réponse suggérées.
📉 Une baisse mesurée, pas une impression
Les données disponibles confirment ce que de nombreux éditeurs ressentent :
- Stack Overflow : perte de plus de 50 % de son trafic organique en un an (Similarweb)
- Wikipedia : baisse estimée entre 15 et 20 % selon les thématiques
- Reddit : chute de visibilité SEO compensée par la vente de données à OpenAI et Google
- Sites d’actualités et d’encyclopédies : diminution des clics sur les requêtes informatives simples
La cause principale : les utilisateurs n’ont plus besoin de visiter les sites pour obtenir une réponse. Celle-ci est souvent affichée directement dans le moteur de recherche, générée par une intelligence artificielle.
🤖 L'IA modifie radicalement le comportement des internautes
Trois évolutions se conjuguent :
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L'intégration de SGE (Search Generative Experience) chez Google : cette version expérimentale, testée aux États-Unis, affiche une réponse IA en tête de page, souvent complète et suffisante.
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La montée en puissance de ChatGPT, Gemini, Perplexity : de plus en plus d’utilisateurs délaissent les moteurs traditionnels au profit d’assistants conversationnels.
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L’autosuffisance des IA : formées sur des milliards de pages web, elles répondent en agrégeant l’existant… sans générer de clic vers les sites d’origine.
Selon l’étude SparkToro (2023), plus de 60 % des recherches Google n’aboutissent à aucun clic — un phénomène accentué sur mobile. Ce sont les fameuses « zero-click searches ».
🍽️ Les contenus sont consommés sans retour
Les IA ne créent pas de contenu à partir de rien. Elles se nourrissent du web existant : articles, forums, notices, FAQ, tout y passe.
Cette matière première est ensuite reformulée, synthétisée, puis affichée sans lien, sans crédit et sans contrepartie.
Pour les éditeurs, il s’agit d’un détournement économique du modèle open web. Pour les acteurs de l’IA, c’est de l’optimisation. Pour les utilisateurs, c’est plus rapide.
⚠️ Conséquences pour les créateurs et éditeurs
Les effets sont déjà tangibles :
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Baisse de trafic organique, même avec un bon positionnement SEO
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Diminution des revenus publicitaires liés aux visites
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Moindre visibilité sur les requêtes informatives
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Décrochage du retour sur investissement en contenu
Le New York Times a intenté un procès à OpenAI (décembre 2023), estimant que ses articles ont été utilisés pour entraîner des modèles commerciaux sans autorisation. D’autres médias suivront probablement.
✅ Des stratégies de réponse sont possibles
Face à ce basculement, il serait illusoire de compter uniquement sur des ajustements techniques. Il faut envisager une réorientation stratégique.
- Produire un contenu non substituable
Ce qui est standardisé est réplicable par une IA. En revanche : les témoignages d’expérience, les analyses personnalisées, les retours de terrain et les opinions étayées ne sont pas aisément synthétisables sans perte de sens. Ce type de contenu reste pertinent.
- Miser sur des formats complexesLes IA résument efficacement le texte.
Mais elles peinent à reproduire :
- Des vidéos interactives
- Des quiz dynamiques
- Des simulateurs ou outils en ligne
- Des formats multimédias synchronisés
L'objectif est de proposer une expérience que l’IA ne peut pas aspirer et reformuler en une phrase.
- Créer une relation directe avec l’audience
Réduire la dépendance au trafic Google implique de recréer du lien :
- Lettre d'information régulière
- Accès membre ou espace privé
- Communauté fermée
- CRM intégré à la production éditoriale
- La fidélisation directe permet de conserver la valeur de l’audience, même si le référencement se contracte.
- Contrôler l’accès des IA (ou coopérer)
Certains éditeurs choisissent de bloquer les robots IA dans leur robots.txt. D’autres envisagent de facturer leur accès (comme Reddit). L’alternative: travailler à ce que les IA citent explicitement les sources, ce qui n’est encore qu’un voeu pieux.
📚 Sources
✅ SparkToro – Zero-click Searches (2024)
✅ New York Post (via SimilarWeb) – Impact des AI Overviews sur le trafic des sites médias (2025)
✅ Brookings – « AI is eating the web that enabled it » (2024)
✅ The New York Times – Procès contre OpenAI(2023)
✅ TechCrunch – Google SGE et impact sur le web (2024)
✅ The Verge – Analyse critique de SGE et des AI Overviews (2024)
✅ Bloomberg – Reddit poursuit Anthropic (2024)
📍 Et pour les recherches de professionnels locaux ?
Lorsqu’un utilisateur cherche un professionnel local – par exemple « avocat en droit du travail à Paris » – les IA génératives prennent tout à coup un ton plus précautionneux. Contrairement aux requêtes informatives classiques, elles fournissent souvent des noms, des adresses, des numéros de téléphone, et surtout des liens cliquables. Pourquoi ce revirement soudain ? Parce que dans ce type de requête, plusieurs enjeux convergent :
Un risque juridique plus élevé : identifier un professionnel, c’est s’exposer à une responsabilité potentielle en cas d’erreur, d’omission ou de favoritisme perçu. Fournir des liens permet de rediriger la responsabilité vers la source (annuaires officiels, fiches Google Business, sites des cabinets).
Des données mieux structurées : les professionnels locaux sont souvent indexés via des fiches géolocalisées, enrichies de métadonnées (schema.org, Open Graph, API locales) que l’IA peut facilement exploiter. Elle a donc une base fiable et exploitable pour générer une réponse utile sans hallucination.
Un potentiel commercial : la mise en avant de professionnels ou de services locaux ouvre la voie à un modèle économique de courtage de visibilité. C’est un terrain monétisable, et donc plus surveillé. Les liens deviennent un levier d’opportunité – pas juste d'information.
En somme, l’IA sait faire la différence entre ce qu’elle peut capter impunément… et ce qu’elle doit restituer proprement. Le clic n’est pas mort : il est simplement réservé à ceux qui en valent économiquement ou juridiquement la peine.