Sylvain
En 2005, jâavais acceptĂ©, avec une naĂŻvetĂ© confondante et une once dâespoir et de conviction, de participer Ă la messe de minuit de La SĂ©guiniĂšre. Pas comme simple spectateur, non. JâĂ©tais le musicien, le technicien, et le crĂ©ateur de lâambiance visuelle et sonore. Une mission titanesque qui, rĂ©trospectivement, aurait mĂ©ritĂ© un contrat en bonne et due forme ou au moins une prime de NoĂ«l. Spoiler : je nâavais eu ni lâun ni lâautre.
Le projet avait tout pour sĂ©duire au dĂ©part : une salle municipale vaste, un prĂȘtre enthousiaste que je connaissais depuis mes annĂ©es lycĂ©e (merci Ă lâaumĂŽnerie pour ses bons moments Ă gratter de la guitare), et un public dâenviron 1 000 Ăąmes. ĂquipĂ© de mon arsenal â guitare, ordinateur, vidĂ©o-projecteur, Ă©cran gĂ©ant et cĂąbles en tous genres â, jâavais mobilisĂ© non seulement du matĂ©riel de qualitĂ©, mais aussi mes compĂ©tences multiples en musique, en informatique et en logistique Ă©vĂ©nementielle. Le tout, bien sĂ»r, bĂ©nĂ©volement. Mon athĂ©isme, qui aurait pu poser problĂšme Ă certains, nâavait pas freinĂ© mon engagement. Ironique, nâest-ce pas ?
Un diaporama divin, mais des partenaires pas trĂšs "catholiques"...
Pour lâoccasion, jâavais minutieusement prĂ©parĂ© un diaporama destinĂ© Ă projeter textes et images fournis par lâAbbĂ© NĂ©dixion. Un travail mĂ©ticuleux impliquant des heures de tri, de synchronisation et dâajustements techniques pour que tout soit parfait.
Pourtant, dĂšs la mise en place, des grains de sable avaient grippĂ© la machine : la chorale avait dĂ©cidĂ© de chanter⊠dos au public. Il m'avait fallu des trĂ©sors de diplomatie pour leur expliquer que la voix, comme la foi, est destinĂ©e Ă sâĂ©lever vers les fidĂšles. Puis, cerise sur le gĂąteau sonore : le claviĂ©riste jouait sur un synthĂ©tiseur probablement dĂ©saccordĂ©, Ă moins que son talent pour les fausses notes nâavait Ă©tĂ© volontaire.
MalgrĂ© tout, la soirĂ©e dĂ©marrait et, contre toute attente, le spectacle avait tenu la route. La guitare Ă©tait juste, les chants presque harmonieux, la diffusion du diaporama impeccable. Les fidĂšles avaient marmonnĂ© les cantiques avec plus ou moins de conviction. Bref, la magie de NoĂ«l avait opĂ©ré⊠du moins jusquâĂ la bĂ©nĂ©diction finale.
Un miracle : lâexode instantanĂ©e des fidĂšles
Et lĂ , patatras. Une fois le dernier « Amen » prononcĂ©, les portes sâĂ©taient ouvertes et un flot humain sâĂ©tait Ă©chappĂ©, aspirĂ© par la nuit glaciale. En une minute Ă peine, la salle Ă©tait vide. Mille fidĂšles sâĂ©taient Ă©vaporĂ©s, sans un regard en arriĂšre, prĂȘts Ă se rĂ©galer de dinde et de bĂ»che, Ă Ă©changer des « Joyeux NoĂ«l ». MĂȘme l'AbbĂ© NĂ©dixion, maĂźtre de cĂ©rĂ©monie, sâĂ©tait Ă©clipsĂ© avec une vĂ©locitĂ© digne dâun champion de sprint, Ă faire rougir Usain Bolt, non sans un rapide « Merci pour tout ! ».
Quant Ă moi ? Je mâĂ©tais retrouvĂ© seul.
AbandonnĂ© dans cette immense salle froide Ă ranger, face Ă un chantier monumental : dĂ©brancher et enrouler des dizaines de cĂąbles, dĂ©brancher la sono, ranger quelques chaises pour faciliter lâaccessibilitĂ© au dĂ©branchement et Ă lâĂ©quipement, Ă©teindre le vidĂ©o-projecteur et dĂ©monter lâĂ©cran gĂ©ant de 6 m2. Tout cela, avec pour seule compagnie un silence qui, Ă mesure que je travaillais, sâĂ©tait transformĂ© en reproche : mais pourquoi diable avais-tu acceptĂ© tout ça ?
La solidarité chrétienne ? Un mythe urbain
Deux heures plus tard, enfin de retour chez moi, je avais ratĂ© le dessert familial. Lâesprit alourdi, je rĂ©flĂ©chis. Que restait-il de la solidaritĂ© et du partage prĂŽnĂ©s pendant cette Messe ? Rien. Pas un fidĂšle pour mâaider, pas mĂȘme un mot de soutien, une main tendue, un geste, un minimum d'empathie. Que dalle !
Tout cela avait confortĂ© une conclusion personnelle dĂ©jĂ bien ancrĂ©e : lâathĂ©isme me semble dĂ©cidĂ©ment plus honnĂȘte. PlutĂŽt que de prĂŽner des valeurs que lâon oublie dĂšs la sortie de lâĂ©glise, il convoque la responsabilitĂ© de nos actes et du monde quâon laisse derriĂšre nous.
Et la prochaine fois ?
Si je devais refaire une Messe de Minuit, je mâassurerais de prĂȘcher une homĂ©lie percutante : « Celui qui range aprĂšs la fĂȘte est plus proche du Royaume des Cieux. » Peut-ĂȘtre que lĂ , on viendrait mâaider. Mais ne comptez plus sur moi pour revenir avec ma guitare, mon matĂ©riel ou ma foi en une solidaritĂ© illusoire.
Joyeux Noël, donc, à ceux qui savent que le véritable partage va au-delà des mots murmurés entre deux cantiques. Moi, je garde mon énergie pour des causes plus authentiques.
25/12/2024